L'alignement des implants dans l'arthroplastie totale de genou
U. Malzer et P. Schuler
 
publié dans: Orth Prax 3 (1998) 141 - 146
Résumé
L'alignement correct des implants est l'une des clés du succès de l'arthroplastie totale de genou. Les coupes osseuses doivent être orientées selon des repères anatomiques tels que l'axe épicondylien, l'axe A/P, et la tubérosité tibiale.
Cet article décrit certaines caractéristiques anatomiques de l'articulation du genou et leur rôle dans la technique opératoire.
Introduction
Les prothèses de genou actuelles ont atteint un haut niveau de développement, et l'expérience clinique montre que les résultats à long terme de l'arthroplastie totale de genou égalent ceux de l'arthroplastie totale de hanche.
Outre le dessin des implants, la précision de la technique opératoire est un facteur déterminant pour le succès de l'intervention. L'arthroplastie totale de genou a pour principaux objectifs la réaxation du membre, l'équilibrage des parties molles, et le guidage anatomique de la rotule.
La majorité des échecs prothétiques rapportés dans la littérature, et en particulier les complications rotuliennes et l'usure précoce des inserts tibiaux en polyéthylène, incriminent la technique opératoire.
II semble donc opportun d'étudier de plus près les différents facteurs anatomiques et techniques influant sur l'alignement des implants.
Anatomie
II est important de connaître certaines caractéristiques anatomiques pour comprendre l'importance du bon positionnement des implants:
Dans le plan horizontal, l'articulation du genou est en varus (environ 3°), c'est-à-dire que le plateau tibial est incliné en dedans d'environ 3° (6,9). Ceci a pour incidence d'abaisser le niveau du condyle fémoral interne (Fig. 1).

Fig. 1
Lors de la flexion, l'inclinaison de l'interligne articulaire entraîne une rotation interne de l'axe des condyles postérieurs d'environ 4° par rapport à l'axe des épicondyles ("torsion condylienne" [10]).
En prenant l'axe des épicondyles comme repère anatomique, la gorge trochléenne est centrée sur le point le plus haut de l'échancrure intercondylienne; par rapport aux condyles postérieurs cependant, elle est latéralisée d'environ 3-5 mm (Fig. 2) (13).
Le degré de pente tibiale postérieure est variable selon les individus, la valeur moyenne rapportée dans la littérature étant d'environ 7° (Fig. 3) (6, 12).
La valeur de l'angle Q (Fig. 3) varie également d'un individu à l'autre, avec une moyenne de 15° (1), sachant qu'elle est généralement plus élevée chez la femme.

Fig. 2

Fig. 3
Résection "anatomique" et résection "standard"
Les conditions anatomiques influencent les coupes osseuses. Deux options se présentent en termes d'orientation des coupes (7):
Pour une résection dite "anatomique", on retire la même quantité d'os en interne et en externe, selon l'épaisseur de l'implant (Fig. 4).
La coupe respecte la pente naturelle de l'articulation. Par conséquent, par rapport à l'axe mécanique du membre, les coupes ont 3° de varus. Ceci est valable pour le fémur en extension et en flexion, c'est-à-dire que les coupes sont toujours réalisées à la même hauteur.
La quantité d'os réséquée - correspondant à l'épaisseur de l'implant - étant toujours la même, les espaces sont symétriques et l'articulation généralement bien équilibrée, à la fois en extension et en flexion.

Fig. 4
La coupe fémorale distale et la coupe tibiale sont effectuées perpendiculairement à l'axe mécanique du membre. II en résulte une résection relativement moins importante du plateau tibial interne et plus importante du condyle fémoral interne. En extension, les coupes osseuses sont équilibrées et l'espace symétrique.
L'examen de l'interligne articulaire en flexion montre la nécessité d'une coupe fémorale postérieure asymétrique, car une résection parallèle à l'axe des condyles postérieurs créerait un intervalle de flexion de forme trapézôidale, avec un compartiment interne relativement serré en flexion (Fig. 5). Ceci pourrait être l'une des raisons de l'usure postérointerne précoce de l'insert tibial en polyéthylène.
Pour obtenir une résection asymétrique précise, il est indispensable de corriger l'alignement en rotation. Cette correction correspond à la pente de l'articulation, soit généralement 3° de rotation externe par rapport à l'axe des condyles postérieurs (Fig. 6).
Là encore, ceci entraîne une résection interne plus importante et une résection externe moins importante des condyles postérieurs, équilibrant ainsi la coupe tibiale en flexion et créant un intervalle de flexion symétrique.
Une coupe fémorale postérieure incorrecte avec une rotation externe insuffisante entraîne non seulement un genou serré en interne, mais également une rotation interne de la gorge trochléenne de l'implant, qui est alors médialisée (Fig. 7). Ceci augmente l'angle Q, et accroît le risque de subluxation de la rotule.

Fig. 5

Fig. 6

Fig. 7
Repères anatomiques pour l'alignement fémoral
Les grandes déformations en varus ou en valgus sont souvent associées à des pertes de substance généralement localisées au niveau du plateau tibial interne dans le genu varum, et du condyle fémoral externe dans le genu valgum (Fig. 8).
Ceci affecte la coupe fémorale postérieure dans la mesure où les condyles ne constituent alors plus un repère fiable pour l'alignement.

Fig. 8
C'est pour cette raison que d'autres repères anatomiques ont été définis, notamment deux lignes auxiliaires particulièrement fiables (Fig. 9):
1. L'axe transépicondylien ou ligne d'Insall (4), qui relie la pointe de l'épicondyle externe et le sillon interne de l'épicondyle interne. La coupe postérieure doit être parallèle à cette ligne; elle est généralement équivalente à la coupe effectuée avec 3° de rotation externe.
La position des épicondyles étant constante, la coupe fémorale postérieure parallèle à la ligne d'Insall n'est pas pénalisée par une éventuelle perte de substance massive. Cette méthode est fiable, même en cas de sévère désaxation (Fig. 10).
La ligne d'Insall présente cependant un petit inconvénient: son identification n'est pas toujours facile, les épicondyles étant parfois difficilement palpables sous les insertions des ligaments latéraux. D'autre part, il est nécessaire de déterminer le vrai centre de l'épicondyle interne du fait de sa forme en croissant.
2. La seconde option, l'axe A/P ou ligne de Whiteside a été définie comme la ligne reliant le point le plus bas de la gorge trochléenne et le point le plus haut de l'échancrure intercondylienne (Fig. 9).
Les mesures exactes et les évaluations statistiques effectuées sur des fémurs sains et arthrosiques ont démontré que l'axe A/P et l'axe épicondylien sont en étroit corrélation. Ils sont en fait pratiquement toujours perpendiculaires./p>
L'axe A/P étant plus facile à identifier, la marge d'erreur est plus faible qu'avec la ligne d'Insall (3).

Fig. 9

Fig. 10
Alignement de l'implant tibial
L'alignement correct de l'implant tibial dépend principalement de deux facteurs:
La pente postérieure influe sur la largeur globale de l'intervalle de flexion. Si la pente postérieure est insuffisante, on obtiendra un genou relativement serré avec un déficit de flexion; si la pente est trop importante, il en résultera une instabilité en flexion avec un enroulement plus prononcé de l'implant fémoral.
Ceci peut entraîner des contraintes excessives sur la partie postérieure de l'insert tibial et augmenter l'usure du polyéthylène (11). II est recommandé de choisir un angle d'inclinaison inférieur à l'angle anatomique qui est d'environ 7° (12), soit 3-5° maximum.
II est préférable de fixer la pente postérieure par rapport à la crête tibiale, et non par rapport à la surface articulaire; la distance étant plus longue, la mesure sera plus exacte.
Mathématiquement, une modification de l'alignement de 1 mm au niveau de la surface articulaire [0,04"] génère un angle de 1,2°, alors qu'un déplacement de 1 cm [0,4"] sur toute la longueur du tibia génère un angle de 1,5° seulement (Fig. 11).

Fig. 11
L'alignement en rotation de l'implant tibial influe également sur le centrage de la rotule. La rotation interne de l'implant tibial est à éviter car elle induit une rotation externe de la tubérosité tibiale, augmente l'angle Q, et entraîne la latéralisation de la rotule (Fig. 12).
Plusieurs repères anatomiques permettent l'alignement correct en rotation (Fig. 13). Le plus fiable est le bord interne ou le tiers interne de la tubérosité tibiale (8), qui sont faciles à repérer et ont une incidence directe sur le centrage de la rotule.
On cite souvent le centre du talon ou le troisième métatarsien, mais en se basant sur ces repères, on risque le positionnement en rotation interne. Notamment, lorsqu'on utilise un cale-pied, le pied est maintenu en position fixe vers l'avant, tandis que le ligament rotulien place l'extrémité supérieure du tibia en rotation externe lors de la subluxation externe de la rotule. Ceci peut entraîner un mauvais positionnement de l'implant tibial en rotation interne (Fig. 14).

Fig. 12

Fig. 13

Fig. 14
Rotule
Le centrage rotulien reste l'un des défis majeurs de l'arthroplastie totale de genou.
Environ 30 à 40% des complications proviennent de l'articulation fémoro-patellaire. Nous venons de souligner l'importance de l'alignement correct des implants fémoral et tibial, indispensable au guidage anatomique de la rotule.
II est également très important de médialiser légèrement le médaillon rotulien, pour reproduire la position naturelle du sommet de la rotule (14). II est recommandé de choisir un médaillon rotulien de petite taille dans le cas d'une petite rotule anatomique, afin de médiatiser correctement l'implant.
On peut d'autre part améliorer le centrage rotulien dans certains cas, par une légère latéralisation de l'implant fémoral (quelques millimètres) (Fig. 15).

Fig. 15
Discussion
Les prothèses totales de genou se sont considérablement améliorées au cours des dernières années, et les instrumentations actuellement disponibles permettent une implantation extrêmement précise. On ne doit cependant pas se fier exclusivement aux instruments.
L'alignement correct des implants par rapport à des repères anatomiques est essentiel pour le succès de l'intervention, en particulier dans les cas de déformation sévère, perte de substance, et instabilité ligamentaire.
L'équilibrage ligamentaire (libérations etc ...), si nécessaire, ne doit être effectué qu'après avoir réalisé les coupes osseuses.
L'utilisation des repères cités précédemment nous a permis d'améliorer nos résultats cliniques. Une libération de la capsule externe ou une ostéotomie de la tubérosité tibiale sont désormais devenues extrêmement rares. Le positionnement correct de l'implant et l'équilibrage des parties molles facilitent en outre les soins et la mobilisation post-opératoires.
 
Bibliographie
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